Récit de notre expérience de travail de 8 semaines dans une usine en Nouvelle-Zélande
Yoann et moi avons travaillé dans une packhouse (usine d’emballage de pommes) dans le Central Otago durant 8 semaines, de début mars à début mai. L’expérience a été particulière car l’entreprise venait d’acquérir des nouvelles machines dites à « haute technologie ». On a surtout subi les pannes récurrentes et les mauvais réglages ce qui a conduit à des moments opposés : attente à ne rien faire VS moments de déferlante de pommes ingérables.
Cet article est le reflet de notre expérience, de ce qu’on a vécu et ressenti pendant 8 semaines en tant que PVTiste en Nouvelle-Zélande dans CETTE entreprise, en tant qu’ouvrier saisonnier, un job qu’on a choisi pour trois raisons que l’on énumère. C’est un gros pavé. Le sujet du travail me passionne.
J’introduis cet article en précisant que je ne communiquerai pas publiquement le nom de l’entreprise dans laquelle nous avons travaillé. Je souhaite parler du travail en détail, le but n’est pas de faire bonne ou mauvaise publicité sur une entreprise en particulier.
Pour en savoir plus sur nos expériences de travail en Nouvelle-Zélande, il faut suivre l’étiquette « Travailler »!
Pourquoi travailler dans une packhouse ?
1/Pour obtenir une extension de visa
C’est la raison pour laquelle, Yoann et moi, avons choisi de travailler ici. Nous souhaitons étendre notre Permis Vacances Travail qui normalement s’achève le 16 août 2019. En effet, nous aimerions pouvoir profiter du premier retour des « beaux jours » avant de repartir mais aussi et surtout, nous avons envie de revendre le van au meilleur prix et en juillet/août ce n’est pas la meilleure période. Pour obtenir l’extension de visa (3 mois d’extension), il faut travailler 12 semaines dans les domaines de la viticulture/horticulture. Nous avions déjà travaillé 4 semaines dans les vignes donc il nous manquait 8 semaines pour faire la demande.
2/Avoir un salaire et des horaires « fixes »
Ce travail permet d’avoir des horaires définis et stables pour tous les deux, ce qui garantit donc un salaire complet et une bonne gestion de notre emploi du temps.
« Mais le picking ça rapporte plus non ? » Oui c’est vrai mais seulement si le « contrat à la bin » est proposé et qu’on est « bon ». Pour être bon, il faut acquérir de l’expérience et nous ne pensons pas que cela aurait été le cas en 8 semaines. Le picking de pommes, c’est remplir des bins de 20 kilos de pommes toute la journée. Je sais d’avance que mon corps ne l’aurait pas supporté.
3/Ne pas être contraint par la météo
A l’approche de l’automne, l’idée de travailler dehors sous toutes les intempéries que peut comporter la Nouvelle-Zélande ne nous faisait pas vraiment rêver. Nous avions travaillé dans les vignes en novembre à Blenheim et nous avions ainsi pu expérimenter les avantages et les inconvénients du travail au grand air : la beauté des paysages, le lever du soleil sur les vignes et les montagnes, les pieds et mains complètement trempées et frigorifiées, les coups de soleil même à travers le t-shirt, se graisser le visage de crème solaire alors que nous avions les mains extrêmement sales. Les extrêmes. Le froid et le chaud. Le sec et la pluie.
Conditions du travail
Nous travaillions du lundi au vendredi.
Horaires :
- 8h-10h
- 10h-10h15 = pause
- 10h15-12h30
- 12h30-13h = pause
- 13h-17h
La journée comprend deux pauses de 15 minutes payées.
Une dame prépare le thé pour chaque pause, il est servi dans des tasses dès que nous arrivons. 90% des tasses sont faites avec du lait ! Du thé au lait. Je déteste. Mais c’est un truc anglo-saxon…
Pour la deuxième pause, nous avions le droit en plus à 2 biscuits chacun.
Rémunération
Comme la plupart des jobs saisonniers en Nouvelle-Zélande, nous étions rémunéré au minimum wage (salaire minimum) soit 16 dollars 50 de l’heure en mars puis 17 dollars 70 dès le 1er avril avec (augmentation du salaire minimum de Nouvelle-Zélande).
Ajoutons à cela que nous avons travaillé 4 jours fériés ! Un jour férié est compté double. On est payé une fois pour le jour et une autre fois quand on finit le contrat (avec la Holiday pay (congés payés)). Parfois, comme ce fut le cas à New World en janvier/février, on est payé 1 jour et demi + un autre jour.
Le salaire était reçu fortnightly = tous les 15 jours. Le plus communément en Nouvelle-Zélande nous sommes payés à la semaine. Cela ne changeait pas grand-chose pour nous, nous avions pas mal d’argent de côté des précédents boulots.
Travailler dans un entrepôt sans chauffage ni climatisation
Nous avons connu les deux sensations :
- Le chaud. En début de saison, c’était encore l’été, on a eu chaud, très chaud car la tenue de l’usine c’est un… pull ! A manches longues. On a vraiment transpiré.
- Le froid. A l’arrivée de l’automne, c’est le froid qui s’est installé mais une couche supplémentaire suffisait. Nous avions aussi des gants pour manipuler les cartons, ce qui permettait de ne pas subir le contact froid des pommes sortis des bains.
« Packer », un job physique
On peut clairement remarquer la « dureté » des différents postes de la packhouse par rapport au physique et à l’âge des travailleurs.
Le tray-feeding, travail consistant simplement à placer les trays – plateaux qui accueillent ensuite les pommes – sur les tapis : ce poste est plus particulièrement occupé par les personnes les plus âgées (la plus vieille avait 79 ans) et celles à plus forte corpulence. Non pas que l’on soit moins efficace lorsque l’on est plus corpulent mais dans cette packhouse, le fait est qu’on pouvait se rendre à l’évidence de la situation. Yoann a cependant fait ce job en arrivant durant une semaine et aussi la dernière semaine. Il s’y est beaucoup ennuyé.
Le packing, travail consistant à trier les pommes (repérer les défauts et les jeter au bon endroit pour le recyclage) et les placer correctement dans les plateaux : plus de jeunes et de personnes en bonne condition physique.
Le boxing, travail consistant à mettre les plateaux dans les boîtes en cartons (boxes) : ce sont les mêmes personnes que pour le packing. Nous alternions entre les deux mais j’ai plus fait de packing et Yoann de boxing. En effet, j’ai vite arrêté le boxing car les convoyeurs tombaient souvent en panne et nous étions amenés à devoir manipuler plusieurs fois les cartons qui pèsent 17,5kilos. Devoir les porter en se baissant et se relevant 8h30 par jour ne convenait pas du tout à ma petite corpulence. Avec ce travail j’ai appris à ne pas m’attaquer la santé pour un job non-qualifié payé au minimum.
Et enfin, dans une autre partie de l’entrepôt, il y a ceux qui mettent les cartons sur les palettes. Là, c’est très physique car le travail consiste à brasser les cartons toute la journée. Il n’y a que des hommes du Vanuatu qui l’effectue (je parle d’eux plus tard dans l’article).
Le packing/boxing est assez physique car il demande de rester debout 8h30 par jour et de faire travailler des parties du corps qui n’ont peut-être pas l’habitude d’être activées. Si, comme nous, vous faisiez un travail de bureau en France, vous devriez le sentir. En fait, c’est surtout les premiers jours, la première semaine… Ensuite, le corps s’habitue petit à petit. Des étirements tout au long de la journée, à même le poste de travail mais aussi le soir après le travail, aident. Certaines personnes ont abandonné dès les premiers jours à cause de ces douleurs. Notamment au dos. Personnellement, je ne souffre pas du dos, ça me tire plus dans l’arrière des jambes car j’ai besoin de les bouger tout le temps et là on ne fait plutôt que piétiner.
Pour le packing, les cervicales sont assez douloureuses car nous ne faisons pas beaucoup de mouvements avec le cou. Seulement de « micro-mouvements ». On a la tête constamment baissée sur les pommes. Quand nous devons faire deux lignes à la fois, c’est moins douloureux car le corps travaille des deux côtés. Si nous ne faisons qu’une ligne là on se retrouve complètement déséquilibré au niveau des douleurs. C’est désagréable. Une entente avec le partenaire d’à côté est de mise pour alterner durant la journée.
Extra : faire le ménage de la packhouse
Dès le début du
travail, ils nous ont demandé si nous étions intéressés pour faire du ménage le samedi. Cela pouvait
représenter de 6 à 9h de travail supplémentaire par semaine. 6 personnes ont
été choisies (les premières de la liste en fait). Yoann, Justine et moi en
faisions partie. Yoann a travaillé 2 samedis et moi 4. Cela représentait un
supplément de salaire non négligeable pour économiser pour la suite du voyage.
Comme les tentations de sorties n’étaient pas grandes autour de Roxburgh, mieux valait passer son samedi à travailler
pour gagner de l’argent que d’attendre que le temps passe. C’est une façon
de penser assez personnelle. Ne rien faire permettait aussi, bien sûr, de se
reposer.
Débranche… ton cerveau !
Avant même de commencer le travail, une superviseure nous a mis en garde « Assurez-vous de faire quelque chose d’intéressant durant vos moments libres (soirs et week-ends). ! ».
Le packing est en effet un travail répétitif. Toute la journée les mêmes pommes, les mêmes plateaux, les mêmes gestes.
Ajoutez à cela :
- Du bruit : 85 décibels 8h30 par jour. Nous avons demandé des casques. Interdit. « Vous n’entendrez pas vos superviseurs. ». On a eu des bouchons. Douleur atroce aux oreilles en les portant sur une longue durée. Et notre superviseure nous a proposé… de la Patafix. Ce jour-là on a compris qu’il fallait peut-être qu’on arrête de demander des trucs. Alors on a fait sans protection.
- Pas de musique. Si vous ajoutez de la musique aux 85 décibels que provoquent les machines forcément cela augmente… Oui mais quand même… Nous avions tous envie d’avoir de la musique. Pour s’évader, se divertir. Ils nous l’avaient promis mais cela ne venait pas… Alors la 7ème semaine, Justine, notre collègue adorée, a mené une révolution silencieuse. Avec d’autres collègues, ils ont commencé à coller sur nos uniformes (pull) une étiquette par employé qui demandait de la musique via des messages funs liés à la musique. En une demi-journée cela a fait le tour des managers. Après le repas, ils nous ont dit qu’ils allaient mettre la musique… seulement si nous enlevions nos étiquettes (il ne faudrait pas que les ouvriers se rebellent… et puis quoi encore…). Et enfin… la musique fut !
Nous avions le droit de parler mais :
- avec le bruit on n’entend pas tout
- parler avec les Kiwis c’est dur à suivre à cause de l’accent
- on est tellement occupés parfois (si trop de pommes) que les conversations sont décousues
- vous pouvez parler, oui mais pas trop, sinon on va croire que vous n’avez rien d’autre à faire
On a bien essayé de faire passer le temps de manière plus agréable et plus fun.
Nous étions 3 Français. On essayait de se mettre toujours ensemble. Pour faire passer le temps plus vite on essayait de trouver des choses amusantes à faire. La plupart de nos idées ont été assez rapidement rejetées. Comme celle de mettre des étiquettes blanches sur nos filets pour cheveux en plein milieu, un peu décollé pour que ça bouge. Zéro pointé. La big boss est passée et a fait passer le message à notre cheffe pour dire que nous étions ridicules et que nous devions immédiatement les retirer. On parle juste d’étiquette blanche sur des filets. On a fait rire tout le monde. Sauf elle.
Le marché noir de l’heure.
Montres et portables étaient interdits à cause du risque de casse et donc de propagation de verre dans les pommes.
Il n’y avait pas non plus d’horloge commune dans l’usine. Au bout de quelques semaines, ils nous ont installé des écrans d’ordinateur pour que l’on puisse visualiser les types de pommes et les plateaux qui arrivaient sur nos lignes. Ces écrans possédaient l’heure. Or, cela n’a duré que quelques jours. Quand les supérieurs ont vu que nous regardions sans cesse l’heure et partions toujours à l’heure pour les pauses et la fin de journée sans attendre leur décision, ils nous ont coupé l’heure !
Il fallait donc chercher les rares personnes qui pouvaient avoir l’heure autour de nous.
En 1, les contrôleuses qualité grâce à leur tablette de suivi de vérification des pommes. Mais elles n’étaient que 2 et s’occupaient de 44 lignes donc nous ne les voyions que trop rarement. En 2, les collègues qui s’occupaient des cartons. Mais on les voyait rarement également, toujours en train de courir.
Alors certains packers ont fait les « rebelles » en cachant montre ou portable sur eux. Et discrètement, l’heure tournait de ligne en ligne, le temps restant (avant la prochaine pause ou la fin de la journée) indiqué par un décompte sur les doigts pour communiquer sans crier et en se faisant mieux comprendre.
Partager l’heure, une belle leçon de fraternité.
Compétences développées et apports personnels
Ce n’est pas parce que ce travail est dit « non qualifié » qu’il faut pour autant négliger l’acquisition de compétences, ni les apports personnels. J’en relève quelques-uns :
- Savoir travailler sous pression. On ne parle que des pommes mais je vous assure que quand elles arrivent en masse, super vite, que le tray-feeder oublie des trays et que votre mission c’est de mettre le moins de pommes possible par terre, il faut savoir gérer la « panique ».
- Analyser son environnement et savoir trouver des solutions rapidement face aux soucis. Les machines n’étant pas encore rôdées, j’ai toujours tendu l’oreille pour anticiper les pannes. Ainsi, j’ai décoincé des cartons avant que cela ne crée un gros bouchon, j’ai fait réparer le frottement d’un tapis, j’ai su appeler de l’aide quand je voyais un problème de réglage dans l’arrivée des pommes, Yoann remettait les lasers des convoyeurs en place etc.
- Comprendre et parler anglais dans un contexte professionnel. Et avec le bonus « 85 décibels de machinerie » on est passé à un niveau supérieur !
- Le langage non verbal : communiquer entre collègues par les gestes, les regards, les sourires, parce qu’on est trop loin, parce qu’il y a trop de bruit, parce qu’il y a barrière de la langue mais que l’on doit quand même travailler en équipe et se comprendre pour avancer et bien faire.
- Savoir que je ne pourrais pas faire ce travail toute ma vie, que le travail à la chaîne est inhumain, que se trouver utile et donner un sens à son travail est primordial.
Accord avec le Vanuatu : qu’est-ce que le programme RSE ?
Les personnes voyageant en Nouvelle-Zélande se sont peut-être déjà demandées, comme nous en travaillant dans les vignes à Blenheim, d’où venaient les « personnes à la peau noire » à Blenheim ou dans le central Otago, dans les vergers et dans les vignes.
Et c’est ici, à Ettrick, que nous avons pris connaissance de l’accord entre les îles Vanuatu et la Nouvelle-Zélande.
Des dizaines de Ni-Vanuatu (nom des habitants du Vanuatu) travaillaient avec nous à la packhouse.
Le RSE (Recognised Seasonal Employer) a pris effet en Nouvelle-Zélande en 2007. Il consiste à permettre aux entreprises d’horticulture et de viticulture d’engager des employés provenant des overseas (extérieur à la Nouvelle-Zélande) quand il n’y a pas suffisamment de travailleurs Néo-zélandais. Les pays du Pacifique éligibles à ce programme sont Vanuatu, Fiji, Kirabati, Nauru, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Samoa, îles Salomon, Tonga, Tuvalu.
Les pays les plus représentés sont (nombres d’employés sur la saison 2017-2018) :
- Vanuatu (4 445)
- Tonga (1 899)
- Samoa (1 878)
On peut trouver plusieurs articles traitant de ce programme, du travail et de la présence des Ni-Vanuatu en Nouvelle-Zélande.
Si le gain d’argent en Nouvelle-Zélande est considérable pour ces travailleurs, nous avons pourtant rencontré des Ni-Vanuatu expliquant qu’ils vivaient très bien dans leurs îles sans avoir vraiment besoin de travailler (entraide, potager personnel…).
Je ne m’étalerai pas sur les différents avis que les Néo-Zélandais portent sur la présence de ces travailleurs étrangers et de la manière dont les employeurs agissent. Je ne me fais pas juge des accords diplomatiques.
Je ne dirai qu’une chose : j’ai adoré travailler avec eux ! Ils sont sans aucun stress, amusants, chaleureux et très bosseurs ! Partager 8 semaines avec eux n’a fait qu’amplifier mon excitation de nous rendre au Vanuatu en juin prochain.
Philosophie de l’usine…
Quoi ? Usine et philosophie sur la même ligne ? J’ai tendance à philosopher sur tout. Quand nous avons commencé ce travail je me suis posée 1001 questions. Le travail à la chaîne. Le fordisme (vidéo ci-dessous), la condition ouvrière. Oh tiens ! Et bien j’ai découvert dans mes recherches sur l’usine que La condition ouvrière était le titre d’un ouvrage de la philosophe Simone Weil.
Simone Weil a quitté un temps son travail de professeure pour faire l’expérience « réelle » de la condition ouvrière. Elle critiquait ceux qui écrivaient des articles sur le sujet mais qui n’avaient jamais expérimenté ce métier.
Il s’agit d’un recueil de plusieurs textes, articles, lettres, ouvrages autour des conditions de travail en usine. Alors je l’ai acheté et ma tendre Maman me l’a fait parvenir de France. Je l’ai reçu assez rapidement ce qui m‘a permis de le commencer pendant le début du travail et de pouvoir mettre mon expérience en parallèle de cet ouvrage. Son expérience date de 1934-1936, alors, heureusement bien sûr, certaines choses ont bien évolué depuis. Mais il y a tout de même certains passages qui étaient remplis de similitudes.
N.B. : à l’heure où j’écris cet article, je n’en suis qu’au début de l’ouvrage, je lis deux livres en même temps et de manière tout à fait irrégulière.
Les voici :
Abrutissement et temps de loisir
A propos des heures de travail, un Français m’a dit « Oh, tu fais 8h-17h, ça va alors ! ». Premièrement, nous avons seulement 30 minutes de pause pour manger le midi, cela relativise les horaires. Nous travaillons donc 8h30 par jour, soit 42h30 par semaine. 7h30 de plus par semaine qu’un temps plein français de 35h.
Deuxièmement, voici une réflexion de Simone Weil :
p. 67 : « Quant aux heures de loisir, théoriquement, on en a pas mal, avec la journée de 8 heures ; pratiquement elles sont absorbées par une fatigue qui va souvent jusqu’à l’abrutissement. Ajoutez, pour compléter le tableau, qu’on vit à l’usine dans une subordination perpétuelle et humiliante, toujours aux ordres des chefs. Bien entendu, tout cela fait plus ou moins souffrir, selon le caractère, la force physique, etc. ; il faudrait des nuances ; mais enfin, en gros, c’est ça. »
De notre côté, on ne peut pas parler franchement d’humiliation. Je parlerai plutôt d’infantilisation parfois très usante mais ceci est commun à tous les jobs que nous avons faits jusqu’ici en Nouvelle-Zélande. Sur l’abrutissement et le temps dédié aux loisirs, je confirme. Le cerveau est tellement comprimé qu’il ne reste que peu de place pour imaginer avoir une vie riche et belle. Je me souviens d’une journée en particulier qui avait été tellement difficile au niveau du cerveau que je ne souhaitais voir personne à la fin de la journée. J’avais alors pensé à ce moment-là à tous ces parents exerçant ces métiers éprouvants qui rentrent chez eux chaque soir et doivent assumer leur vie de famille. J’en serais incapable.
Par ailleurs, de par mon métier initial de médiatrice culturelle, j’ai aussi pris réellement conscience de quelque chose qui sera, je le pense, déterminant dans la manière de penser mon métier à l’avenir. Quand on étudie la médiation culturelle, on apprend que les couches sociales les moins représentées dans les théâtres (et la plupart des lieux culturels) sont les agriculteurs et les ouvriers. Il est rare de lire les vraies raisons liées à cette absence. On dit que ces raisons sont géographique, financière, ou liées au simple désintérêt. Mais ce qu’on n’oublie surtout de dire, c’est à quel point le travail ouvrier nous broie. Je vous assure que durant ces 8 semaines, il ne m’est pas venu une seule fois l’idée, l’envie, d’aller voir un spectacle le soir après le travail. On se retrouve dans un cercle routinier. Boulot. Préparer le repas du soir et le repas du lendemain midi. Se laver. Se mettre en pyjama. Dormir. Dormir tôt.
Là, aussi, j’ai compris pourquoi ma mère, dont je me moquais un peu étant enfant, s’endormait tous les soirs avant 21h30. Elle fut ouvrière ostréicole durant plusieurs années.
Et recommencer. L’envie venait le week-end, ça oui. Mais voilà, en France, rares sont les théâtres qui proposent des spectacles le week-end.
Le besoin d’humanité
p. 23 « Les impressions de sympathie – voire de joie – ne sont pas totalement absentes du Journal d’usine ; la fraternité, silencieusement, manifestée par un regard ou un sourire, va le plus souvent à la souffrance perçue chez le camarade de travail. »
p. 96
« Robert est sympathique décidément. Importance des qualités humaines d’un régleur. »
Cette fraternité, nous avons pu l’expérimenter bien souvent.
Heureusement qu’ils sont là, les sourires compatissants. Les gestes d’entraide. Les regards bienveillants. Et parfois les gestes chaleureux. Une simple tape dans le dos. Une blague. La dernière semaine, qui parut si longue, un collègue est venu sur ma ligne, il regardait sous mon tapis et me dit « Je cherche quelque chose, je l’ai perdu, elle est peut-être par là… ma motivation ! ». Je vous assure que dans le contexte fou de l’usine, c’était une excellente blague qui m’a fait la matinée. Un mot gentil. Entendre les éclats de rire. Apprendre à se connaître. Parler anglais. Parler français. Apprendre des mots en espagnol, en slovaque, en allemand, en bislamar. Les oublier. Les redemander.
Sans tout cela, sans cette once d’humanité, je n’aurais pas tenu 8 semaines.
Sur le sentiment d’utilité, le sens du travail.
Simone Weil « Travail pas trop ennuyeux, grâce au sentiment de responsabilité (j’étudiais la manière d’éviter le grippage ».
Et enfin, cette question du sens, cette question de l’utilité d’une tâche, comprendre pourquoi nous devons faire cette action, ce geste, cette tâche. Se poser la question. Ne pas y trouver de sens.
Repérer les soucis des machines a vraiment permis de tenir plusieurs fois. Me sentir utile en dénonçant les pannes. Recevoir les remerciements des techniciens et de la superviseure pour avoir prévenu. Bref, sentir un peu que j’ai encore un cerveau…
La question de l’éthique aussi… Qu’on a rapidement dû mettre de côté. Et je vous assure que c’est difficile. Je ne me vanterai pas d’avoir contribué à l’exportation de pommes à travers le monde. Alors que la pomme est un fruit qui pousse quasiment partout. Mais je l’ai fait car c’est le job que m’offrait la Nouvelle-Zélande.
4ème job en Nouvelle-Zélande
C’était notre 4ème travail en Nouvelle-Zélande et j’ai encore beaucoup appris sur moi-même, sur le monde du travail, sur l’économie, sur le management etc. Nous avons encore bien progressé en anglais et avons rencontré des collègues du monde entier (24 pays différents recensés ! Ainsi par exemple, mon frère a pu profiter de messages enregistrés dans différentes langues pour lui souhaiter son anniversaire.). Nous avons passé de riches moments et ne regrettons absolument pas d’avoir choisi de passer 8 semaines dans cette folle entreprise. Si c’était à refaire je le referai. Mais par contre si je dois le refaire hum… disons qu’on était un peu toutes et tous d’accord pour se dire « Comment vouloir faire une deuxième saison quand on en a déjà expérimenté une ?! ».
Et maintenant ? On est en vacances pour plusieurs semaines, voire mois… On travaillera sûrement à nouveau en Nouvelle-Zélande vers la fin du PVT mais maintenant nous avons « le choix » du travail car nous pouvons valider nos 12 feuilles de salaire relatives à ce secteur pour demander l’extension.
Hello ! Super article et le livre de Simone Weil a l’air très bien même si je ne l’aurai pas lu pendant le boulot je pense, de peur de déprimer encore plus aha. On bosse actuellement pour la deuxième fois en packhouse (pommes puis kiwis), la première fois c’était assez similaire à vous mais plus d’heures (49h environ) et des collègues ne parlant pas du tout anglais… C’était vraiment dur, je m’occupais l’esprit avec des calculs mentaux et essayait d’inventer une histoire d’un homme se transformant peu à peu en machine à force de travailler à l’usine… Là on fait du repack donc pas de machines et on peut discuter, le temps passe bien plus vite !
Vos supérieurs ont l’air invivables par contre… Et je trouve ça fou le coup de l’horloge, c’est normal dans ce genre de travail de vouloir savoir quand ça finit enfin !
Bref, la prochaine fois on va essayer de bosser dans un café je pense aha, plus sympa.
Ahah c’est fou toutes les histoires et les astuces qu’on peut trouver pour s’occuper l’esprit ! Nos supérieurs étaient particuliers mais ils nous laissaient parler, jamais eu de rappel à l’ordre pour ça, c’est déjà ça. Au final ma pire expérience a été dans les vignes. La meilleure New World. Et bosser en hôtel c’était pas mal aussi 🙂 mais bon on a fait ce qu’il faut pour l’extension de visa !